Le mythe de la reprise à la barre pour l'euro symbolique

Reprendre une entreprise à la barre pour un euro symbolique est possible. Mais le réussir avec un seul euro en poche ("à la Bernard Tapis") est un mythe. Voici pourquoi.

La concurrence des autres repreneurs

Vous n'êtes pas tout seul à vous intéresser à la reprise d'entreprise en difficulté. Statistiquement, deux tiers des reprises à la barre seraient le fruit de procédure lors de laquelle ne se présenterait qu'un seul candidat. Cette statistique cache néanmoins le côté dissuasif dès lors que le dirigeant ou le mandataire indiquent aux autres candidats qu'un acteur sérieux est déjà sur les rangs. Sur les cibles intéressantes, il n'est pas exclu que vous vous trouviez face à quelques concurrents, peut-être plus motivés que vous, aux poches peut-être un peu plus profondes que vous. La reprise d'entreprises en difficulté attirent beaucoup d'entrepreneurs qui se rêvent dans le costume du "chevalier blanc"...

La motivation n'est pas un élément suffisant pour convaincre

La difficulté du Tribunal de Commerce à faire confiance à un "challenger" dont le projet est uniquement basé sur la motivation et l'expertise : la hantise du Tribunal de Commerce, dans son délibéré lors du choix du repreneur, est de revoir le dossier en cessation des paiements plusieurs mois ou quelques années après (cela arrive, en réalité, fréquemment). C'est la raison pour laquelle le Tribunal aura toujours tendance à confier l'affaire à un repreneur solide financièrement, capable d'encaisser les aléas et les mauvais coups à venir.

Le désintéressement partiel des créanciers est l'un des critères de sélection du tribunal dans le choix du projet de reprise

Le niveau de l'offre sur la partie "paiement comptant" fait aussi partie des critères de sélection parmi toutes les offres déposées : certes le Tribunal privilégiera avant tout la sauvegarde des emplois comme premier critère de sélection, certes c'est le projet qui compte et l'adhésion des salariés à ce nouveau projet, mais sans argent à proposer pour solder une partie du passif, il sera difficile au Tribunal de Commerce de justifier son choix et de vous confier le sort de l'affaire en faillite.

Pouvoir financer le BFR et le prouver

Le financement du BFR pour faire repartir une affaire et atteindre la rentabilité : la croyance collective selon laquelle une reprise à la barre peut s'effectuer à l'euro symbolique est un doux rêve qui ne conduit, dans la plupart des cas, qu'à des échecs. Ce qui ne vous est pas raconté par les vendeurs de poudre de perlimpinpin, c'est que le redressement d'une entreprise en difficulté exige très souvent des investissements afin de financer le BFR post-reprise, afin que l'exploitation puisse retrouver l'équilibre financier ou la rentabilité (même en cas de reprise en plan de cession, à savoir une reprise sans le passif), que les reprises à l'euro symbolique peuvent aussi être synonyme de la reprise de beaucoup de dettes (cas de la reprise en plan de continuation) et que l'échéancier de remboursement de ces dettes viendra grever et plomber votre capacité à ré-investir une partie de l'EBE dans l'entreprise. N'en déplaise aux charlatans du "distressed M&A" et du "restructuring", l'énergie et le talent du repreneur à la barre ne suffisent pas : on ne sauve pas une entreprise avec un euro.

La quasi-impossibilité de recourir à de la dette

Le délai accordé pour le dépôt des offres est très contraint, il est en général inférieur à deux mois. La reprise à la barre s'apparent donc à un véritable sprint. Vous n'aurez pas le temps d'aller chercher des fonds pour financer votre reprise auprès d'un organisme bancaire, ces délais étant incompatibles avec le temps de traitement d'une demande de prêt chez une banque classique. Sans compter qu'aucun partenaire financier ne vous suivra si vous ne risquez pas, vous-même, votre propre argent. A noter enfin, d'ailleurs, qu'une fois la reprise effectuée, qu'une une fois aux commandes de l'entreprise à redresser, aucune banque ne vous ouvrira facilement ses portes avant les premiers signes de rétablissement tangibles. Restent les financements alternatifs : aides, fonds de capital-retournement, business-angels, family-offices, autre société du secteur de la cible et qui pourrait trouver des synergies et un intérêt à participer à un projet de reprise.